Fundamenti

Culture de la non-violence ou culture de la paix ?

Le principe de la non-violence est acquis pour l’espoir qu’il peut susciter en Corse et ailleurs, il n’en reste pas moins que la véritable question est posée « en creux » car ce qui importe c’est en fait la Paix.
Or, le choix lexical de « non-violence » ne rend pas les choses suffisamment explicites au premier abord. Pire encore, il renvoie à un non-comportement-violent logiquement construit en réaction à son contraire. Le choix des mots est important. Il est le miroir de nos dimensions intérieures et établit une réalité psychologique dont on ne peut parfois se défaire.
Pour nous confrères, il convient de préciser que la Paix n’est pas un acte construit en réaction. C’est la manifestation tranquille, constante et durable du fait d’Amour (au sens de Carità = tene caru). Pour qui fait corps mystique avec le Christ, le cheminement vers la sainteté est éclairé à la lueur du message évangélique. L’homme nouveau qui revêt l’abitu prend ainsi l’engagement de rajouter du bien au bien sans évoquer le mal dont il est pourtant conscient de l’existence. Ce n’est pas un acte délibéré d’ignorance, ni même une ignorance feinte, mais une tension (au sens de tendre) inaltérable vers le Bien parce qu’intrinsèquement confiante en Dieu. Ainsi la paix n’est pas stricto sensu le contraire de la violence. Elle est la manifestation de l’Amour de Dieu pour l’Humanité et Dieu ne s’est jamais construit en fonction du démon.
La langue corse, dernier vestige d’une civilisation villageoise élaborée, pose en principe l’acte de Paix. N’a-t-on jamais entendu dire : « Induve vo passate ci vole à mette a Pace » ? Pour notre part, nous n’avons jamais perçu autre chose et le terme viulenza (donc celui de no-viulenza) était inusité. I zitelli ùn so mai stati viulenti. Anu minatu o si sò minati …, une femme n’a jamais été violentée, hè stata ingannata, offesa, etc … On ne peut pas croire à une indigence dans le lexique ou la sémantique mais au reflet parlé d’une forme de spiritualité particulière qui se refuse au subalterne pour se consacrer uniquement à l’essentiel.


« Mette a Pace » : la subversivité salvatrice

Le verbe « mette » dans « mette a Pace » doit d’abord s’entendre au sens de poser un acte de civilité chrétienne. On est donc dans le cadre de l’implication du chrétien dans ce qui relève de l’organisation sociétale. Cette implication est d’abord manifestée par la confrérie elle-même. S’il s’agit d’un groupe organisé au sein de l’Ecclesia, c’est aussi une forme de sociabilité conditionnée depuis toujours par le souci d’égalité en dignité de tous les hommes.
L’organisation structurelle de cet espace de vie est centrée sur la personne du Christ physiquement présente au tabernacle. Cette centralité du Christ est d’autant plus libératrice qu’elle appelle un fonctionnement démocratique dont ce sont certainement inspiré les Corses des Lumières. Dans l’espace villageois, cette implication des confréries est marquée par la présence de nos oratoires (e casazze). Du fait de l’acculturation générale, bons nombres de Corses pensent aujourd’hui qu’il s’agit de la « deuxième église du village ».
Tout au long des siècles (particulièrement dans les zones rurales) l’action des confréries a consolidé sinon créé les conditions du lien social. Il n’est pas inutile ici d’évoquer le terme « paisanu » aujourd’hui incompris dans ce qu’il exprime réellement. Les dictionnaires nous en donnent une traduction simple qui est « villageois » au sens de celui qui habite le village. Or nous savons qu’il exprime en réalité une sorte de parenté sociale qui renvoie au sentiment d’appartenance à une même communauté. C’est ce sentiment du commun qui met la vie en partage.

Mais la Corse actuelle, est brutalement passée d’une société archaïque (au sens anthropologique du terme : qui unit l’homme à la terre) à une organisation de type moderne où l’habitat dispersé (lotissement …) rend compte de la façon dont se construit désormais le rapport aux autres. Dans cette logique, tout groupe constitué porteur du sens du commun est intrinsèquement subversif.
Pour ne pas nous conformer au siècle, c’est précisément de cette subversivité dont nous devons nous réclamer. La promotion du sens du commun induit inévitablement que l’on se penche sur la question du lien social. Par ricochet elle nous donnera des « prochains », littéralement des personnes qui nous seront proches et avec lesquelles nous aurons la vie en partage. La distance que l’on met entre nous est notre principale ennemie. Elle ne permet pas l’écoute, elle ne permet pas d’aimer.


La vérité que l’on se doit

« La même charité qui unissait les Frères entre eux et avec Dieu, les poussait vers la cité des hommes, souvent déchirée – à cette époque là – par des luttes fratricides. Les Servites de Marie devenaient ainsi des artisans de paix et les serviteurs des malheureux. »
Les Saints du calendrier romain. Enzo Lodi.

Ce passage du calendrier des Saints, concernant nos modèles Servites, est très explicite. C’est la même charité – c'est-à-dire le même Amour – qui pousse à agir partout et à tout instant. Avant de se retirer sur le Monte Senario et devenir les premiers membres de l’Ordre, les sept saints fondateurs étaient confrères à Florence. C’est cet engagement premier qui a conditionné leur radicalité et les a conduit – malgré leur retrait du Monde – jusqu’à œuvrer dans « la cité des hommes ».
Les Saintes Ecritures nous invitent à ne pas nous conformer au monde mais à nous renouveler par l’esprit.

« Ne vous modelez pas sur ce monde ; mais transformez-vous dans un renouveau spirituel … »
Saint Paul.

Ainsi et comme pour les Servites, la force de notre action sur le siècle ne passera que par notre propre transformation. Si notre ambition est d’œuvrer pour la Paix nous devons d’abord nous assurer de ce qui nous unit « entre (nous) et avec Dieu ». C’est un travail préalable d’introspection et de vérité que l’on se doit.


La Paix vecteur du salut

Certains de ce que nous sommes, c’est avec efficacité que nous pourrons alors agir au profit de la Paix.
Mais jetons un coup d’œil sémantique pour comprendre toute la dimension du terme lui-même. Bien sûr, la paix s’entend d’abord par ce qui n’est pas belliqueux mais il serait bien dommageable pour le confrère de ne retenir que cet aspect limité des choses.
La seconde acception qui est la plus usitée – notamment en ce début d’année – est aussi très paradoxalement la moins bien connue. Il y a un effort de conscientisation qui nous est nécessaire pour comprendre que Pace dans « Pace è Salute » est l’expression des conditions préalablement nécessaires au Salut. La paix est incluse dans une stratégie spirituelle dans l’objectif de la santé de l’âme et non pas du corps comme communément compris aujourd’hui, « Salute » devant donc se traduire par « salut » et non pas par « santé ». Ceci est rendu plus évident lorsqu’à la lecture de certains manuscrits anciens on trouve en en-tête « Anno della Salute 17.. ».
Aussi la paix n’est pas que la paix des armes, c’est aussi la paix intérieure qui se construit à la lumière du Christ et à laquelle chacun des croyants aspire. Sans le savoir, nous nous la souhaitons les uns les autres depuis déjà quelques jours. Ce « glissement sémantique » est pour nous le signe évident de la perte de nos repères chrétiens. C’est l’expression même de toute notre méconnaissance. Avant toute action et pour reprendre ce qui est évoqué plus haut, il conviendrait donc de se recentrer sur le Christ pour se recentrer sur nous. La Paix dont nous devons d’abord nous entretenir c’est la Paix mystique qui trouve sa racine en Dieu. 


Le socle spirituel

C’est ce socle spirituel qui induit la réalité confraternelle. Il faut poursuivre notre action en réinvestissant toujours plus les lieux, les temps et les gestes qui lui sont naturellement consacrés.
Reconsidérer notre liturgie propre, la faire vivre ostensiblement dans nos villes et nos villages comme la manifestation de notre foi.
Reconquérir les réflexes comportementaux qui faisaient autrefois du confrère le « Paceru paisanu »; ainsi permettre à chacun de mettre à profit sa paix intérieure, sa foi, pour le salut du plus grand nombre en agissant dans le cadre des rapports sociaux.

10 janvier 2012.